Cette cage dans laquelle Akihiko était enfermée était en quelque sorte une prison. Prison aux barreaux d'aciers. Prison tout court. Seuls de simples et solides barreaux glacés le séparaient de la liberté. Il lui suffisait de se faire adopter par un humai pour quitter ce lieu étriqué. Simple en apparence. En apparence seulement. Mais beaucoup plus compliqué en réalité. Akihiko bailla, à la manière d'un de ces grands félins, et s'étira comme un chat. Enfin, me direz-vous, c'est un chat. Il regardait, comme fasciné, sa queue balayer le sol, sur un rythme imaginaire. Il s'ennuyait. Terriblement. Déjà trois semaines qu'il était revenu à la case départ. Trois semaines... C'était bien trop loin. Trois semaines, et il s'était déjà réhabitué à l'odeur âcre et humide qui régnait dans ce lieu mal aéré. Trois semaines, et il s'ennuyait déjà à en mourir. Son corps était parcouru de courbatures,il fallait dire que sa cage n'était pas des plus confortables. Un sol aussi dur et une cage aussi petite contribuaient au manque de confort, privant le chat de précieuses heures de sommeil.

Le soleil pointa le bout de son nez et tenta de traverser la fenêtre terne et pleine de saleté face à la cage d'Akihiko. Seul un faible rayon parvint à percer la pellicule de poussière et atteindre l'échine du Neko. Il ronronna de bonheur, lorsqu'il sentit la chaleur de l'astre caresser sa peau albâtre. Autour de lui, les Nekos miaulaient et piaillaient à tout va, et le silence se réinstalla lorsque le gardien, frappa avec force sur son bureau. Mais peu à peu, des chuchotements s'élevèrent, puis à nouveau des conversations à voix haute pour finir par une joyeuse cacophonie, qui se termina lorsque le gardien frappa une nouvelle fois la table, plus fort cette fois-ci. Ce manège semblait être perpétuel, et se calmait lorsque des gens entraient dans l'animalerie. D'ailleurs, le carillon de la porte d'entrée tinta et les miaulements des Nekos faiblirent un peu. Les plus curieux s'étaient agglutinés au grillage de leur cage, et beaucoup d'autres murmuraient des timides 'maîtres'. Seul Akihiko restait affalé sur le sol froid, jetant à peine un regard aux visiteurs.


Personne ne l'adoptait jamais. Pourquoi ? Parce qu'il n'était pas aussi soumis que les gens le voulaient. Lorsqu'on se montrait trop exigent avec lui, il grognait un peu, et parce que les humains refusaient la présence même d'un semblant de rébellion, on le ramenait à l'animalerie. Du coup, le gardien prévenait toujours les gens qui semblaient s'intéresser à Akihiko de sa mauvaise éducation. Et préférant ne pas prendre de risques, les gens passaient leur chemin. Akihiko avait par la suite cessé d'espérer, et cessé de jouer le petit Neko joyeux et gentil. Si c'était pour revenir à l'animalerie quelques jours après. Il était certain de devoir passer le reste de sa vie ici, si au moins on ne le tuait pas avant. Personne ne voulait d'un Neko qui risquait de grogner si il était mécontent. Peut-être un humain masochiste, ou à la rigueur, un sadique qui voudrait soulager ses désirs secrets ? Quoi qu'il en soit, cela faisait déjà plusieurs semaines qu'il était revenu à la case départ, l'animalerie. Pour passer le temps, il comptait le nombres d'humains qui rentraient, et le nombre de Nekos qui sortaient. Bizarrement, il ne faisait pas partie de ces derniers.


L'air blasé sur son visage convainquait les gens de ne pas l'acheter. Personne ne voulait non plus d'une boule de poils amorphe. Mais c'était si décourageant de rester enfermé qu'Akihiko avait cessé de sourire bêtement dès qu'un humain entrait. En parlant d'humain, et d'entrée... Le carillon retentit une nouvelle fois, et ce fut un homme qui rentra. Même manège pour tous les Nekos, miaulements, collés au grillage. Des « maître » de tous les côtés. Seul Akihiko, le Neko blasé pseudo-rebelle restait allongé sur le sol de sa cage, jetant à peine un regard à l'homme. Qu'importe, puisqu'il savait pertinemment qu'il n'allait pas être adopté.

Mph ? Étrange. Peu après l'entrée du dernier client, les Nekos avaient cessé de jacasser. Y'avait un truc bizarre, là... Akihiko le sentait, mais ne s'en formalisa pas. Après tout, si ça pouvait lui permettre de dormir tranquillement. Parce qu'avec des miaulements en permanence, c'était vraiment compliqué de fermer l'œil. Encore heureux que la boutique ne soit pas ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La nuit était quand même courte. Les babillages cessaient seulement vers vingt-trois heure, quand tous ces stupides animaux avaient compris que les clients ne venaient plus. Puis le tout reprenait vers sept heures, quand les pensionnaires sentaient que les clients allaient affluer. Et encore ! Parfois, quelques jeunes arrivants se mettaient à pleurer toute la nuit, complètement désespérés. Et le vendeur qui n'était pas là. Personne ne pouvait donc arrêter ces pleurs, et tous les Nekos se devaient de supporter ce désagréable bruit de fond. Akihiko supportait de moins en moins cette vie. Mais il n'avait pas le choix, il était né Neko, il allait mourir Neko, en supportant les dures lois qui faisaient de lui un esclave. Pour tout dire, ça ne le dérangeait pas tant que ça. Après tout, si il faisait bien ce qu'on lui demandait, si il se montrait courtois, on le traitait bien. Ce n'était pas tellement horrible. Ce qu'il avait vraiment du mal à supporter, c'était sa vie derrière les barreaux. Ce qu'il pouvait haïr l'animalerie. Ce lieu était des plus horribles.


Akihiko profitait de la fraicheur du béton en se collant au sol. Ses activités quotidiennes se résumaient à somnoler les yeux ouverts, manger le peu de rations qu'on lui donnait et regarder d'un air dégoûté les joyeux élus quitter l'animalerie. Pourtant, il n'était pas rare qu'on s'approche de sa cage pour le voir de plus près. Akihiko était le seul fautif, dans le fait qu'on ne l'adopte pas. Il n'y mettait pas du tout du sien, en se contentant de regarder les clients d'un air blasé ou en se réfugiant au fond de sa cage. Pourtant, il pouvait parfois se montrer gentil. Mais à vrai dire, ça la fatiguait, de jouer un rôle. Et à quoi bon, si c'était pour revenir à l'animalerie deux semaines après ? Autant rester soi-même et être choisi par un bon maître. Ce qui faisait fuir les clients, c'était également l'œil d'Akihiko. Oh. Joli souvenir d'un ancien maître. Le Neko avait un joli visage, mais quand on s'approchait, on remarquait le cache-œil qui trônait honteusement sur son œil gauche, et on s'éloignait. Les gens ne voulaient pas d'un Neko abîmé. Akihiko avait ce défaut, comme beaucoup de monde, d'être un peu trop curieux. Il avait la mauvaise habitude de s'intéresser d'un peu trop près à ce qui ne devrait pas le regarder. Ce devait être embêtant pour ceux qui l'entouraient, mais Akihiko ne s'en rendait pas compte. Voyez-vous, on ne remarque pas toujours ses défauts. Le jeune chat faisait partie de cette majorité de la population qui préférait fermer les yeux sur les travers de leur personne. Bref, ne partons pas en logorrhée pour un simple défaut. La curiosité. La joue collée sur le sol, à mi-chemin entre le sommeil et le réveil, la clochette tinta, sortant le chat de son était semi-léthargique. Un client. Il n'avait même pas besoin de vérifier, il savait qu'il s'agissait d'un de ces humains qui désiraient un Neko. Après tout, il n'y avait que cet endroit où l'on pouvait trouver un hybride. Le chat espéra sans vraiment de motivation qu'on l'adopte. Il se fichait bien d'avoir un maître. Ce qui l'intéressait, c'était de sortir d'ici. Les miaulements des autres Nekos commencèrent sérieusement à l'agacer. Combien d'heures de sommeil lui manquait-il ? Un bon paquet, en tout cas. Des cernes étaient apparues sous ses yeux émeraudes, lui donnant un air encore plus maladif que sa pâleur le faisait. Puis les miaulements cessèrent.


Si au début, Akihiko fit semblant de n'en avoir rien à faire, il restait sur ses gardes, poussé par la curiosité. Un bruit sur un barreau. Le Neko sursauta, tressaillant à la voix qui venait de résonner à ses oreilles. Il croisa un regard carmin, et ne put s'empêcher de dévorer l'inconnu des yeux alors qu'il se retournait lentement. Ce type avait un fusil. Woh, woh, on se calme. C'était un psychopathe ou quoi, cet homme ? C'était légal de se promener avec un fusil à la main ? Les oreilles bien dressées sur sa tête, Akihiko ne disait rien. Il regardait, ses yeux s'attardant sur l'arme de l'humain. Peut-être que cet homme voulait un Neko à torturer ou à égorger ? Les yeux – enfin, l'oeil – émeraude du chat noir se posèrent sur le visage de l'individu. Il avait la peau pâle et les cheveux clairs. Quel homme étrange. Akihiko ne sortait jamais alors, voyez-vous, voir un homme aussi singulier que cet humain l'étonnait quelque peu. Il était grand, cet inconnu. Plus que Akihiko. Il avait l'air jeune, aussi. Le chat lui donnait la vingtaine. Eh bien ? Un homme aussi beau que lui allait perdre son temps dans une animalerie ? Il n'avait pas de copine, ou quoi ? Enfin, en même temps, ce triste détail n'aurait pas étonné le félin, qui considérait cet homme, bien que séduisant, comme un psychopathe. C'est vrai, quoi. De tous les clients qui venaient ici, il n'en avait jamais vu avec un fusil à la main. Tiens, ce type devrait devenir le gardien de ce lieu, vu à quel point il calmait les autres hybrides. Le vendeur, un homme opulent aux cheveux gras, s'approcha du client, l'air peu rassuré, mais guidé par la perspective de vendre une de ces sales bêtes.


« Ah, excusez-moi, vous ne devriez pas choisir cet hybride... Nous en avons d'autres bien mieux élevés. »


Et voilà. Akihiko soupira. Encore une occasion de quitter l'animalerie de perdue ! Quoique... L'inconnu n'avait franchement pas semblé intéressé par les autres Nekos.. Alors qu'il s'était arrêté devant sa cage à lui. Oh, alors il était à son goût ? Qu'est-ce qui l'avait attiré en Akihiko ? Son apparence ? Son attitude, peut-être ? C'est vrai que parfois, le fait de ne pas faire pareil que les autres avait attiré les gens. Eh oui, être anticonformiste avait du bon. Akihiko réfléchissait. Si c'était le fait de paraître rebelle qui l'attirait... Alors pourquoi ne pas la jouer mauvais garçon ? Le chat noir étira un sourire mauvais. Il tourna la tête vers le vendeur, tiquant insolemment.


« Ferme-là, pourriture. Retourne te gaver derrière ton bureau. »


Oh. Etait-ce une si bonne idée, finalement ? Il venait de provoquer la colère du gérant, et probablement la fuite du client...

Akihiko sursauta quand il vit l'humain se baisser juste après qu'il ait insulté le vendeur. Oh non, il allait le frapper, c'est ça ? Lui crever l'autre œil ? Lui crier dessus ? Bah, après tout, il méritait bien une punition... Il l'avait bien cherché. Comme on disait, qui sème le vent récolte la tempête. Le chat noir ferma les yeux et se raidit, prêt à recevoir un coup. Coup qui ne venait pas. Akihiko ouvrit un œil, méfiant – oui, bon, en même temps, il n'avait qu'un seul oeil. Quelle ne fut pas sa surprise quand il vit l'humain lui caresser la joue. C'était une blague ? Il faisait semblant de le caresser pour lui mettre une gifle, c'était ça ? Akihiko restait sur ses gardes, ses oreilles félines s'agitant dans tous les sens. Mais l'autre continuait sa douce caresse. Alors là, le félin était vraiment étonné. Peut-être même choqué. Il venait de manquer de respect à un autre humain et on ne le punissait même pas ? C'était décidé, il voulait cet homme comme maître. Bien qu'il ait l'allure d'un psychopathe et qu'il ait une couleur d'yeux étrange, Akihiko commençait à l'apprécier. Le félin commençait à se détendre, quittant son attitude défensive, quand l'humain lui dot alors qu'il l'appréciait. Une expression de pure surprise se grava sur le visage du Neko. Il avait bien entendu, ou... ? C'était peut-être de l'ironie ? A mieux regarder l'humain, il avait l'air sincère... Gêné. C'était le mot. Akihiko était gêné. Il n'avait pas l'habitude des compliments, et le fait qu'on lui dise bien en face qu'on l'aimait bien le perturbait fortement. Ses oreilles se baissèrent quelque peu, trahissant sa confusion, et le Neko se contenta d'un sourire timide en guise de réponse. Ah, fichues oreilles de chat... Quoi que Akihiko fasse pour cacher ses émotions, ses oreilles le trahissaient toujours. C'était tellement frustrant. Une des principales raisons qui faisaient que le chat noir ne pouvait pas mentir. La main quitta sa joue, et encore une fois, le félin tressaillit. L'humain voulait prendre son élan pour le frapper ?! Ah, non... Il se relevait juste... Akihiko émit un soupir rassuré, se tordant le cou pour voir ce qui se passait dehors. Un homme, qui semblait être une connaissance de l'humain en face de lui, s'était approché du comptoir, remplissant des papiers.


Le cœur du félin manqua un battement. Des papiers d'adoption ? Pour lui ? Ils allaient l'adopter ? Oh, c'est à peine si Akihiko n'en aurait pas sauté de joie. Le cœur débordant soudainement de bonheur, il laissa l'humain lui caresser la joue sans même faire un seul commentaire – lui qui n'aimait pas qu'on le prenne pour un chien. Après tout, si il suffisait de se laisser caresser comme un vulgaire chat pour avoir la liberté, il laissait faire. Akihiko retenait un sourire, trépignant intérieurement. Ah, enfin, se disait-il. Il croupissait dans ce trou depuis trop longtemps. Il allait enfin pouvoir dégourdir ses jambes et contempler le ciel. Puis l'humain lui demanda son nom. L'œil émeraude du félin se posa sans gêne sur l'humain. Ah, Akihiko avait appris à répondre à cette question. Depuis tout ce temps, quand même... Combien de fois avait-il appris son nom à un humain ? Bah, il n'avait pas compté, mais un bon nombre, quoi qu'il en soit...


« Akihiko », Répondit le félin sur un ton égal « Et vous ? »


Il le vouvoyait. Ça faisait plus sérieux. Les humains aimaient qu'on leur montre du respect. Et vouvoyer les humains était une chose indispensable si on voulait sortir de cette animalerie. Akihiko était un habitué. Il avait appris à maîtriser ce ton, qui mêlait neutralité et politesse. Le genre de ton que tous les humains appréciaient, car tout le respect s'y faisait sentir. Le gérant s'approchait alors que l'humain lui répondait. Il ouvrit la cage du Neko dont le cœur battait de plus en plus fort. Le vendeur l'attrapa par le col, se vengeant pour les insultes qu'il avait essuyées quelques instants plus tôt. Akihiko ne s'en formalisa pas. Du moment qu'il sortait. Son oeil fixait l'homme opulent avec un mépris non dissimulé. Ce dernier ne le supporta pas, et tira plus fort sur le col d'Akihiko qui émit un bref grognement. Non, mais fallait pas pousser. Qu'est-ce qu'il croyait, ce type obèse ? Qu'Akihiko allait lui montrer du respect ? Étant en présence de client, le vendeur évita d'en venir aux poings. Il sortit un collier qu'il attacha au cou du chat noir, en prenant la délicate attention de serrer le plus fort possible. Le félin étouffait, mais il ne dit rien, se contentant de grimacer. On attacha une laisse au collier de cuir, laisse qu'on mit entre les mains de l'humain qui venait de l'acheter. Profitant d'un moment d'inattention du gérant, Akihiko porta les doigts à sa gorge, tentant de desserer le lien qui l'étranglait. Malheureusement, avant qu'il puisse toucher à quoi que ce soit, le vendeur le surpris et lui frappa les mains. Ah, il le retenait, ce sale con... Akihiko grinça des dents. Tant pis. Il allait devoir supporter cette torture le temps de rentrer...