Il faisait chaud. Trop chaud. Horriblement chaud. L'après-midi était déjà bien entamé, et le soleil tapait sur les vitres de l'animalerie. Cet endroit était un véritable four. Toutefois, cela eut le don de calmer la plupart des Nekos, trop abrutis par la chaleur pour miauler en permanence. Akihiko ne s'en plaignit pas; un peu de calme ne faisait pas de mal. Recroquevillé sur lui-même afin de pouvoir tenir dans sa cage, il se contorsionna pour changer de position. Ah, il aurait donné n'importe quoi pour pouvoir ne serait-ce qu'étirer un peu ses jambes endolories ou aller se dégourdir les pattes. Malheureusement pour lui, la seule condition pour pouvoir accéder à ces choses, c'était d'être adopté. On en arrivait à cette terrible conclusion, personne ne l'adoptait. Sûrement était-il trop vieux – 19 ans pour un Neko, c'était quand même âgé. Les gens préféraient les hybrides plus jeunes, plus dociles. Ceux qui étaient un peu trop stupides pour se rendre compte de leur statut d'esclave. Akihiko ne le niait pas, il avait autrefois fait parti de ceux-là, mais c'était fini maintenant, il était plus âgé et savait parfaitement ce qu'il était au fond : Un jouet. Un esclave. Un vulgaire animal de compagnie à l'apparence humaine. Bien que furieux de connaître cette triste vérité, il ne luttait pas contre elle. Il restait en effet très docile, sachant très bien qu'un Neko n'était qu'un Neko, et qu'il ne pouvait lutter contre sa nature. D'ailleurs, les éléments qui se rebellaient ne restaient pas longtemps à la boutique. On préférait les envoyer au laboratoire, là où seraient réduits au rang de simple cobaye. Dans le pire des cas, on les éliminait. Ce n'était pas si grave, après tout, les cages des animaleries étaient pleines à craquer. Ce n'était pas si grave, après tout, ils n'étaient que des Nekos. Des objets. Qui donc se souciait des sentiments d'un objet ? Personne. Les gens se fichaient bien de ce que les hybrides pouvaient ressentir. Au fond de lui, Akihiko se disaient qu'ils avaient raison. Si il avait été un humain, il aurait fait comme eux.

Akihiko avait été placé au fond du magasin. Il fut un temps où on lui avait accordé la place de devant, mais à présent, il n'attirait plus les clients. Il ne souriait plus, se contentant de regarder passer les gens d'un air impassible. Il avait arrêté depuis bien longtemps de jouer le gentil petit Neko. Dieu, comme c'était ennuyeux de jouer ce rôle. Toute la journée, il somnolait dans sa cage, abruti par les vas-et-vient incessants des passants et les miaulements de ses congénères. Parfois, des gens s'arrêtaient devant sa cage. Dans ces moments-là, il faisait de son mieux pour paraître docile et gentil, pour devenir le Neko dont on rêvait. Des fois, ça marchait. Malgré son âge avancé – par rapport aux autres Nekos, bien entendu – on le faisait sortir de sa cage, prêt à être adopté. Mais les clients, toujours très sévères quant à la qualité de leur Neko – et il ne leur en voulait pas, c'était vrai que pour se dégoter un animal aussi cher, il fallait quand même le meilleur – examinaient toujours le félin sous tous les angles. Et il n'y en avait pas un seul qui était passé à côté de la cicatrice qui lui barrait le bas du ventre. Et il n'y en avait pas un seul qui n'avait pas été dégoûté et avait changé d'avis. Alors il revenait dans sa cage. Et il y restait. Cela faisait donc plusieurs semaines qu'il croupissait dans ce lieu, commençant peu à peu à être persuadé de n'être jamais adopté. Plus le temps passait, et plus il vieillissait. Et puis, ce n'était pas une vie, de rester dans sa cage à longueur de journée, nourri de rations minuscules. Il ne pouvait presque pas bouger, il ne pouvait pas sortir. Ce n'était donc pas étonnant qu'il ait maigri. Et il devenait de moins en moins présentable, l'air fatigué et mince à la limite du raisonnable. Plus le temps passait, plus ses chances d'être acheté maigrissaient.

Il bailla longuement, tentant de s'allonger dans le peu de place qu'il avait. Le dos endolori, il grimaça légèrement, la joue collée au sol. Parfois, il avait vraiment envie d'être adopté. Juste pour s'étirer un peu en dehors de sa cage. Tant pis, si il devait obéir aux ordres. Tant pis, si on le traitait comme un esclave. Du moment qu'il goûte un peu à la liberté, ou tout du moins, quelque chose qui y ressemble. Enfin... Même si il désirait un maître, connaître une nouvelle fois ce qu'il avait connu, les coups et le mépris, le faisait frissonner. Tout sauf ça. C'était juste... Trop horrible. Et c'était à cause de ça, à présent, qu'on ne l'adoptait plus, à cause de cette immonde cicatrice, à cause de ce morceau de vie qu'on lui avait volé. Maintenant il était vieux, marqué par les coups, et on ne voulait plus de lui. Akihiko ne voulait pas être envoyé au laboratoire à cause de ça. Il fallait qu'on se dépêche de l'adopter, sinon, cela allait arriver. Le félin se mit à fixer le plafond. Une des choses les plus horribles ici, hormis le bruit et l'attente, c'était l'ennui. C'était absolument agaçant. Mais il n'y pouvait rien. Il n'y avait rien à faire ici, à part attendre ! Alors il s'ennuyait, et cet ennui le rendait fou. Il ne pouvait même pas tourner en rond dans sa cage, il n'y avait pas assez de place. Il ne pouvait pas non plus entamer des discussions avec les autres occupants; de un, ils se contentaient de miauler à tout va, de deux, le vendeur semblait préférer les piaillements incessants aux conversations entre chats. Il se faisait toujours rappeler à l'ordre quand il prenait la parole. En fait, ici, ils n'avaient que le droit de miauler.


Akihiko se retourna dans sa cage. Autour de lui, les autres hybrides miaulaient et piaillaient à tout va, couvrant rapidement le bruit de ses pensées. Il était avachi, à mi-chemin entre le sommeil et le réveil. Il était inutile d'essayer de dormir, le bruit était trop intense. Akihiko dormait mal. Mais c'était compréhensible. Voyez plutôt, le sol dur conjugué à la cage étroite étaient des facteurs, qui ajoutés au bruit des autres occupants, empêchaient toute tentative de se blottir dans les bras de Morphée. De ce fait, Akihiko, notre pauvre protagoniste avait constamment sommeil, tel un vrai chat. Cela faisait trois semaines qu'il était revenu à la case départ, l'animalerie. Trois semaines que son dernier maître l'avait abandonné. Trois semaines, cela lui paraissait si long. Il s'était réhabitué à l'odeur âcre et humide qui régnait dans ce lieu, mais il ne se faisait toujours pas au brouhaha quasi-permanent. Des cernes violettes étaient apparues sous ses yeux vert émeraude, et le chat bailla à la manière d'un de ces grands félins. Poussant un bref soupir, il se mit en position assise, se massant la nuque, son corps parcouru de courbatures. Ce lieu était particulièrement inconfortable, vivement qu'il le quitte à nouveau. Si seulement les humains s'intéressaient à lui.


Sa queue féline balaya le sol, au rythme de ses inspirations et de ses expirations. La journée débutait à peine, mais les cris des hybrides avaient déjà envahi la pièce. Le gardien les fit taire en frappant la table de son poings, mais ce fut de courte durée. Les Nekos se turent un instant seulement, mais leurs miaulements reprirent de plus belle. Akihiko souffla, exténué. Pourquoi diable ce gardien ne savait se faire obéir ? C'était en partie de sa faute si il manquait autant de sommeil. De toute façon, les clients allaient bientôt arriver, les miaulements seraient aussitôt remplacés par des "maîtres" mielleux et dégoulinant d'une niaiserie à en donner la nausée. Akihiko n'était pas ce genre d'hybride. Il n'était pas du genre à sourire bêtement en bredouillant un hypocrite "maître". En fait, c'était surtout son apparence qui attirait les humains. Il en était satisfait. Mais bon, puisque les apparences étaient trompeuses, le chat revenait bien vite dans sa cage. Comme c'était ennuyeux. Il ne le faisait même pas exprès, en plus. Sa main se leva pour toucher du bout des doigts les barreaux froids de sa cage. Sortir... Il voulait sortir. Sortir. Il ne pensait qu'à ça. Il se répétait ce mot dans sa tête, comme une chanson, comme pour se motiver. Sortir. Sortir. Sortir.

[J'ai repris mon premier post en rajoutant des choses, mais j'avais vraiment pas envie d'écrire un nouveau post pour la énième fois x___x]

Diling. Un client. Dling diling. Deux clients. Dis donc, ça se bousculait, aujourd'hui. Et personne ne s'aventurait jusqu'à lui. Mon Dieu, quelle chance, si ça continuait il allait pouvoir passer le reste de sa vie ici. Ironie du sort. Sortir ou ne pas sortir, telle était la question. Il ferma les yeux, décidant de s'octroyer une petite sieste – bien ce fût impossible à cause du brouhaha qui régnait. La sortie, ce n'était pas pour lui, et pas pour maintenant. C'était ce qu'il se disait, jusqu'à ce qu'une voix se fasse entendre. « ...Hé ! Ça va ? ». Il sursauta violemment. Uwaaah. Il n'y était pas préparé, là. Prendre les gens par surprise comme ça, c'était bien bas... Le Neko, après s'être presque cogné le crâne contre le plafond de sa cage – c'est vous dire à quel point c'était petit – ouvrit de grands yeux en se collant au mur du fond. Il devait juste avoir l'air d'un cerf pris dans les phares d'une voiture. Mais ce n'était pas de sa faute, il dormait tranquillement ou presque, et voilà qu'on tapait contre les barreaux de sa cage. « Euh... Bonjour. » Il réussit à troquer son air totalement hébété contre un visage presque serein. C'était ça, être un véritable professionnel. Le chat se rapprocha ensuite, la surprise passée, pour mieux scruter l'humain. C'est alors que le vendeur s'interposa en faisant reculer l'homme.

« Évitez de vous approcher. Ce spécimen est un peu agressif. »

Agressif, mon cul, ouais. Oui, bon, il avait mordu le gérant il y avait deux jours à peine, mais il ne l'avait pas fait exprès. PAS EXPRÈS. Et puis, c'était de sa faute. C'était bien connu, on ne réveille pas le chat qui dort. Ce sale gérant l'avait cherché. Akihiko ne regrettait pas. Il poussa un miaulement de réprobation, ce qu'il disait était totalement faux, c'était de la publicité mensongère. Un coup de pied sur les barreaux le fit aussitôt taire. C'est qu'il était plutôt docile, notre petit chat. Il avait beau avoir mordu un humain - d'ailleurs, on voyait la bandage sur sa main - il n'en restait pas moins très sage et obéissant. Un sourcil haussé très éloquent afin de montrer à quel point le vendeur l'affligeait, il fit une légère moue. Connard de vendeur. Il tut ces mots, les prononcer à voix haute aurait été du suicide pur et simple. Déjà, rien que le regard affligé fut de trop, et le gérant l'attrapa par le col. "Miaaaaaaw !", protesta le félin, plus explicite que jamais. Aïe. Ça allait faire mal. Il le sentait déjà venir. Il voyait déjà la main se lever. Ah non, pas des coups, pas encore. Alors le chat mordit. Fort. Il planta ses crocs dans la main qui l'étranglait à moitié, et le vendeur le lâcha. Ni une, ni deux, le Neko se réfugia au fond de sa cage en feulant. En y repensant, c'est vrai qu'il devenait agressif. Il fallait qu'il fasse attention.

L'homme était resté là. Le seul à s'être inquiété de sa santé. Il était beau, il avait les cheveux roux. Lui les avait noir ébène, comme la plupart des japonais, d'ailleurs. Un œil couvert et la peau blanche. Oui, il était beau. Mais ce n'était pas le moment de le regarder, le vendeur lui hurlait déjà dessus. Les oreilles plaquées sur son crâne, il ne faisait pas attention à son interminable sermon. En même temps, il comprenait... Deux fois. il l'avait mordu deux fois. Devant un potentiel client, en plus. C'était sûr qu'on ne voudrait pas de lui. Avec un peu de chance, il n'aurait rien vu. C'est vrai, quoi, il avait un cache-œil, alors... En tout cas, si il n'avait pas de chances côté adoption, Akihiko eut quand même la chance d'être épargné par le gérant. En effet, celui-ci s'était arrêté de crier pour aller s'occuper d'une cliente - une jolie blonde plantureuse.

Soupir. Doux. Silencieux. Désir. Celui de sortir. Oui, il voulait quitter cette cage, ne plus jamais revoir ces barreaux, se lever et s'approcher un peu plus du ciel. Sa queue de félin ondulait lentement sur le sol, alors qu'il regardait attentivement l'humain, un léger sourire aux lèvres. Oui, il venait de se montrer insolent avec un supérieur, mais il souriait quand même. Mais quand même... Akihiko , un rebelle ? Bien souvent, les jeunes Nekos, qui ne connaissaient absolument rien au monde et avaient été dressés à obéir aux ordres, se montraient très dociles. Les plus vieux, qui avaient appris à connaître les humains, étaient plus à-même de se rebeller. Mais ce n'était pas toujours le cas. Et c'était parfois le contraire qui se passait. Les jeunes assoiffés de vie et de liberté agissaient stupidement, en se jetant à corps perdu dans des mutineries complètement fortuites. De toute façon, Neko contre humain, ce n'était pas la peine de se poser la question. Les humains gagnaient toujours; les humains étaient les maîtres, après tout. Bref. Il n'y avait pas à se poser la question, Akihiko était bel et bien docile. Sinon, il ne serait pas encore en vie, si ? Ou alors, il serait un cobaye dans un laboratoire. Quoi qu'il en soit, il était au moins assez sage pour être adopté. Et puis... Puis merde, quoi ! Il voulait être adopté, il serait adopté. Il le voulait tellement.

La peur lui prit le ventre, quand il songea à ce qui se passerait si il ne quittait pas vite cet endroit. Oh oui, il obéirait bien à n'importe quel ordre, si c'était pour échapper à toute cette horreur. Mais pourquoi avait-il encore mordu le vendeur ?! Il devenait agressif sans le vouloir. Dis donc, ça faisait un peu peur, quand même... Il ne se contrôlait même plus. Il soupira. Pour la énième fois de la journée.